Remarque préliminaire : ce billet contient pas mal de généralisations, dont beaucoup sont sans doute abusives. Comme d'habitude, je compte sur vous pour ne pas prendre ce billet comme un article d'encyclopédie, mais plutôt comme un reflet de ma compréhension des choses, d'après ce que je vois autour de moi, et après discussions avec des collègues, amis, ... (en particulier, classe sociale et caste plus élevés que la moyenne, une des villes les plus modernes de l'Inde, et un état de l'Inde, que je comparerais plus à l'Europe qu'à la France tant au niveau diversité culturelle que superficie)
Remarque sur la remarque préliminaire : vous me trouvez peut-être lourd avec mes précautions anti-généralisations, mais quand on voit l'image « cliché » que tellement de gens ont de pays étrangers ... Imaginez 5 minutes à quoi pourrait ressembler le blog d'un Indien venant en France et décrivant « les Français, ils sont comme ci, les Français ils sont comme ça, ... » pour comprendre de quoi je parle.
En général, une des premières choses dont on parle, quand on aborde « la culture Indienne », et les relations Homme-Femme, ce sont les mariages arrangés. Au premier abord, c'est un truc carrément choquant. Remplacer un engagement amoureux par un choix imposé par les parents, c'est clair que ça ne nous attire guère. En fait, c'est quand même un peu plus compliqué que ça en a l'air. Pour beaucoup de monde ici, le mariage d'amour, c'est un truc d'utopiste, un truc qui n'existe que dans les livres et les films (en l'occurrence, ça existe beaucoup dans les films), mais dans la vraie vie, le mariage d'amour, c'est un truc qui ne marche pas, c'est une source d'ennuis, et c'est en finalement presque mal vu. Et finalement, quand on regarde ce qu'il se passe dans le système occidental, cette vision n'est pas complètement absurde. Combien de mariages finissent par un divorce ? Un tiers en France il me semble (mais difficile de savoir quelle proportion des mariages indiens se seraient terminés comme ça si le divorce était aussi « facile » qu'en France ...). Qui a déjà vécu une vrai histoire d'amour, mais n'a jamais eu de chagrin d'amour ?
Alors ici, on préfère un peu plus de rationalisme dans le choix de la personne avec qui on va passer le restant de ses jours. On va choisir quelqu'un qui a beaucoup de points communs, à commencer par la communauté religieuse, les habitudes alimentaires, s'assurer aussi que les deux familles s'entendront bien, et pas seulement les futurs mariés. On va éviter les couples formés sur un coup de foudre, et les amours impossibles. Et qui de mieux placé que les parents pour mettre un peu de rationalisme dans ce choix ? Dans le « bon » système du mariage arrangé, les parents ne forcent pas le choix pour embêter leurs enfants, mais au contraire, ils pensent pouvoir faire un meilleur choix que leurs enfants. Alors oui, ça manque un peu de romantisme, mais comme dit un ami, « y'a pas plus de problème avec les mariages arrangés qu'avec les mariages dérangés » !
Et l'amour dans tout ça ? Bon, déjà, chez nous, « mariage » rime avec « amour », alors qu'en Inde, le mariage, c'est avant tout le premier pas pour fonder une famille. L'amour, ça vient après. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Les parents, les frères et soeurs, on ne les choisit pas, et pourtant, c'est pas interdit de les aimer, donc aimer son mari ou sa femme, bah, pourquoi pas ? Simplement, on part avec moins d'attente, donc on n'arrive peut-être pas à la même passion, mais on risque aussi beaucoup moins de déceptions dans ce système.
Après, bien sûr, le système est souvent poussé bien plus loin, et il n'est pas rare qu'il y ai un vrai rapport de force entre parents et enfants au moment du mariage. Et inutile de préciser qu'ici, dire « merde » à ses parents n'a pas la même porté qu'en France. Donc, oui, il y a aussi des tas de couples qui ne se sont pas choisis et pour qui ça se passe mal. Ajoutez à ça le bon vieux traditionalisme hindoux, avec des règles du style « la femme ne dois jamais prononcer le nom de son mari » (authentique, j'ai entendu parler d'une femme qui a du appeler ses enfants pour répondre au mec qui venait pour le recensement), ou autres traditions de supériorité de l'Homme sur la Femme (l'Inde est quand même un des seuls pays au monde où la mysoginie se voit dans les statistiques. Il y a moins de Femme qu'il ne devrait y en avoir, et la principale explication est l'infanticide et l'avortement quand un couple a une fille. Ce n'est pas un hasard si la détermination du sexe avant la naissance est interdite ici !). Bref, un couple qui se passe mal, ça peut se passer très mal, surtout pour la femme.
Difficile de dire si c'est la cause où la conséquence, mais bon, du coup, l'ambiance n'est pas vraiment à la drague chez les jeunes indiens. Les relations sont globalement distantes (je rappelle que je vis sur un campus universitaire, donc plutôt le genre d'endroit où un bon français aurait attendu des étudiants cherchant activement la femme ou l'homme de leur vie !). Les règles officielles sont elles aussi assez strictes : les résidences étudiantes sont séparées Homme/Femme, et les quelques appartements pour couples ne sont autorisés que sur présentation d'un certificat de mariage. Les étudiants qui portent plainte contre un couple qui se serait embrassé en public, ou contre une intrusion de filles dans la salle télé d'un bloc de mec, ça s'est vu et j'en ai déjà parlé. Petit extrait de conversasion, pas plus tard qu'hier soir, au Styx Pub : « Tu as vu, ici, on peut voir des couples s'embrasser. - Ah, oui, mais tu sais, j'en avais déjà vu avant ... ».
Côté vestimentaire aussi, on voit qu'on n'est pas dans le même monde qu'en France. Hors de question de montrer ses épaules où de porter une jupe un peu trop courte. Le jean serré est à la limite de l'acceptable.
Enfin, bien sûr, ça, c'est pour les apparences. Ce qu'il se passe en privé, c'est autre chose. Tenez, une petite expérience amusante avec Google Trends, qui permet de connaître l'évolution du nombre de requêtes sur un mot donné dans le temps, et la répartition géographique. Regardez ce que ça donne sur des requêtes un peu osées :
http://www.google.com/trends?q=sex
http://www.google.com/trends?q=hot+babes
http://www.google.com/trends?q=sex+picts
Et bien l'Inde ne s'en sort pas trop mal, je trouve, hein ? Donc finalement, c'est peut-être le même mec qui va porter plainte parce que deux étudiants se sont embrassés sur un banc, et qui va passer ses nuits à surfer sur le web à chercher des images porno (tenez, deuxième jeu amusant avec le même outil, cherchez un mot qui est cherché plus souvent que « sex » dans google. C'est plus dur que ça en a l'air).
Là où ça devient amusant, c'est que vu la réputation qu'ont les occidentaux ici, on est assez vite intégré malgré nous à des histoires très privées. Avec un blanc, pas de honte donc à aller demander des films X au voisin de chambre, à faire des propositions très concrètes d'homme à homme (pour rappel, la loi indienne interdit les relations sexuelles « contre nature », ne précisant pas desquelles il s'agit, mais il parait que la jurisprudence dit que c'est l'homosexualité), où même un plan à 4 au couple de la table d'à côté dans un bar. Je ne parle même pas des mains baladeuses où des regards déplacés dans la rue, qui sont monnaie courantes avec les filles blanches ici (je ne parle ici que de vécu par moi ou des amis).
Mais alors, est-ce que tout ça est ancré dans la tradition indienne ? Est-ce que l'amour et toutes ses manifestations physiques auraient toujours été considérés comme tabou dans les cultures d'ici ?
Une tentative de réponse dans le billet de lundi ;-).