On s'y était pris pas mal en avance, il fallait prendre les billets de bus à l'aller (les horaires de train ne collaient pas), et de train au retour (mais même en s'y prenant en avance, il n'y avait plus de place pour le train de nuit, on a du rentrer le dimanche dans la journée). Normalement, c'est un endroit où on peut passer la journée, mais en demandant gentiment, il y a moyen de rester dormir, soit dans une guest-house, soit dans une des petites cabanes perdues dans la forêt. Mon voisin a envoyé une demande pour la guest-house, avec une lettre signée de mon chef comme quoi on était des chercheurs de l'institut et qu'on voulait visiter Top-Slip deux jours (malgré les conseils de mon voisin, je n'ai pas osé mentionner sur la lettre qu'on était des chercheurs en écologie, je m'entends bien avec Gopi, mais y'a des limites !).
Départ en bus de Bangalore le Vendredi soir. On fignole nos sacs, achète deux bouteilles de Dettol (l'antiseptique qui repousse les sangsues) en plus du reste de la dernière fois. Chacun son parapluie, on a vu à Madikeri ce que ça donnait à deux sous le même. Mon voisin prend un tout petit sac, met deux-trois trucs dedans, et c'est parti.
Chose étonnante : le bus est confortable. Sièges inclinables, bien rembourrés, et on a des places relativement à l'avant, donc on ne bénéficie pas de l'effet tape-cul. On arrive à 6h à Polachi, où on prends un bus bien moins confortable pour Top-Slip. Sorti du bus, un troupeau de daims et de sangliers nous attend dans le champ d'en face.
Daims et sangliers
Il est 8h, on prends un premier ticket d'entrée, puis on prends un guide pour un petit treck pendant la matinée. On s'inscrit aussi pour le petit déjeuner. Le petit déjeuner est servi dans une petite demi-heure, on en profite pour se préparer au treck. On fait nos sacs, et on passe la première couche de Dettol.
Dettol
On va marcher quelques minutes avec mon voisin et le guide. Il nous emmène déjà dans la forêt. On peut constater que la méthode indienne anti-sangsue est bien différente de la méthode française. Mon voisin part en tennis, sans rien, et nous demande à quoi sert notre Dettol, et le guide part en tongues, le pantalon remonté jusqu'aux haut des mollets alors que nous, on a le pantalon bien rentré dans les chaussettes pour ne laisser aucun trou. Aux premières sangsues, le guide remonte encore un peu son pantalon. L'idée étant de s'assurer que les sangsues ne montent pas plus haut, et d'enlever celles qui montent sur la jambe au fur et à mesure. La technique de mon voisin, c'est de se faire bouffer les pieds et les mollets, et de constater les dégâts après coup.
La forêt est très dense, principalement des groupes d'énormes bambous (notre guide à Madikeri nous avait expliqué qu'ils peuvent pousser d'un mètre de haut par jour).
Martin dans la forêt
Forcément, c'est plein d'animaux étranges. Singes, oiseaux, ... Tenez, voici un écureuil géant :
Écureil géant
À la pause, notre guide enlève ce charmant spécimen de son mollet.
Sangsue
On a beau savoir que c'est pas dangereux, et même paraît bon pour la santé, c'est quand même franchement dégouttant comme bestiole ! Pour ceux qui ne sont pas convaincus, voilà une petite vidéo, je vous laisse imaginer ça en train de monter le long de votre jambe.
Sangsue (5,2Mo)

Notre guide nous explique que les rochers sur lesquels on est assis chauffent au soleil dans l'après-midi, et que les tigres viennent faire la sieste ici. Au dessus, il y a une cabane surélevée, on monte sur le toit et on demande en rigolant si c'est possible de dormir là. Il y a aussi pleins de petites bêtes amusantes. Par exemple, ce vers qui se recroqueville en une bille quand on le touche, on en avait vu à Madikeri, c'est très amusant.
Vers
Bon, mais passons aux choses sérieuses. Le guide remarque des grosses traces par terre, et un tas de crottes ne laisse aucun doute : il y a de l'éléphant dans le coin. Le guide pose son pieds sur la crotte. Cette fois, rien de religieux. C'est encore tiède, l'animal n'est pas loin. On avance doucement et silencieusement, le guide suit les traces, il a l'oeil !
Il a tellement l'oeil que nous voilà à une cinquantaine de mètres d'une petite famille éléphants. On ne les voit pas bien parce qu'ils sont derrière des branches, mais vraiment tout près. Bon, si je vous montre la seule photo que j'ai réussi à prendre, vous allez vous moquer de moi, mais bon, si si, c'est bien un éléphant.
Éléphant caché
On observe les animaux manger en silence. A un moment, le plus gros des éléphants lève la tête. Là, il n'est plus derrière les branches, il nous regarde un instant (et nous, bien que très content que les éléphants soient près de nous, on prie pour qu'ils ne se rapprochent pas plus), et ils s'enfuient.
Un peu plus loin, une trace relativement fraîche du gros chat de la forêt. Oui oui, une trace de tigre. Miaou ?
Trace de tigre
On n'a pas vu de tigres autres que celui qui est empaillé au musée, mais finalement, c'est peut-être pas une mauvaise chose. On marche encore un peu et on retourne à notre point de départ. Petite averse au passage, on abrite mon voisin sous nos parapluies, lui n'en a pas emporté. Les indiens qu'on croise nous confirme que les tongues de notre guide correspondent à un bon équipement puisque la plupart n'ont aucun scrupule à aller se balader pieds-nus là-dedans.
Il est 11h, et, « Surprise », c'est trop tard pour le petit dej. Organisation indienne, je n'avais pas compris qu'on allait faire un treck de 3 heures entre 8h30 et 9h, mais il faut croire que c'était prévu comme ça. Là, on a carrément faim. Mon voisin nous demande de lui prêter du dentifrice, il n'a pas pris ses affaires de toilette (les indiens semblent se laver les dents avant de manger, je n'ai pas trop compris pourquoi).
On inspecte nos jambes, pas de sangsue, ouf. On visite le petit musée, le petit magasin de médecine ayurvédique où on achète chacun un flacon de baume du Tigre, Martin me faisant remarquer avec raison que c'est le remède ultime contre l'odeur de pisse dans le train quand on est trop près des WC. Mon voisin me demande si je peux lui prêter un tee-shirt, il n'a pas prévu de rechange. Pendant ce temps, un Paon se balade dans le champ d'à côté.
Paon
L'après-midi, on part en bus à l'endroit où ils soignent les éléphants malades. Quelques dizaines de minutes de bus, et en arrivant là bas, on nous dit qu'en fait, les éléphants sont pas là. En fait, les éléphants sont en demi-liberté, ils vont manger tranquillement dans la forêt aux alentours.
Éléphant demi-sauvage
En fait, en y regardant bien, la forêt est truffée d'éléphants. On nous amène quand même une maman éléphant et son bébé, il est trop mignon !
Éléphant + maman
Au moment de partir, un autre éléphant s'approche sur le chemin. Notez la carrure du maître et la taille de son bâton, mais l'éléphant est tout de même très obéissant, alors qu'il pourrait négocier sa liberté contre un coup de trompe.
Éléphant (6,8Mo)

Quelques instants plus tard, notre ami s'allonge dans la rivière pour une petite toilette.
Éléphant (3,4Mo)

De retour à l'accueil, on repart pour un petit treck en forêt, cette fois-ci avec des sacs de couchages. Ben oui, on avait dit en rigolant qu'on pourrait dormir dans la petite cabane, mais finalement, c'est devenu sérieux !
La forêt est toujours aussi pleine de bestioles en tous genre. Certaines sont quand même pas très rassurantes (l'araignée fait une bonne dizaine de centimètres) :
Araignée
Un peu avant la tombée de la nuit, nous voici arrivés à bon port. Il n'y a rien de trop, juste une pièce vide. On a apporté à manger (chapatis et sauce contenue dans un sac plastique - il parait qu'il ne s'ouvre jamais en route, mais ça nous paraissait un peu risqué quand même).
Cabane
Notre guide nous fait encore une démonstration de sa vue perçante. En regardant la montagne au loin, il remarque une famille d'éléphants. En suivant ses explications (par l'intermédiaire de mon voisin qui fait la traduction Tamoul -> Anglais), on finit par remarquer des petites tâches marron. Pour vous donner une idée, avec le zoom 12x (équivalent à 400mm) de mon appareil photo, et en grossissant au max après, ça donne ça (spéciale dédicace au stabilisateur d'image, la photo est prise au 1/20s !) :
Éléphants loin
Lui, nous dit : « oui, il y a la maman et le bébé, on les voit bien ». Bon. Il a carrément la pêche ce soir, on comprend rien à ce qu'il dit vu qu'il parle seulement Tamoul (enfin, en tous cas, pas Anglais), mais il imite le bison, fait le fou tant qu'il peu. La nuit commence à tomber, il fait frisquet. Mon voisin me demande si je peux lui prêter une veste, il n'a pris qu'un tee-shirt.
Avant le coucher de soleil, on se fait une petite séance lecture sur le toit de la maison. Boris Vian serait sans doute fier de savoir que quelques pages de son livre ont été lues dans un si bel endroit.
Coucher de soleil
La nuit tombée, on se couche rapidement. De toutes façons, on a oublié les bougies et nos lampes ne tiendraient pas longtemps, et le guide nous a dit qu'on se lèverait à 5 heure le lendemain. On demande à mon voisin si c'est la peine de mettre un réveil, il dit que oui. Après une nuit un peu bruyante (le vent souffle dehors, c'est limite la tempête), titititiiit-titititiiiiiit-titititiiiiit il est 5 heures, debout tout le monde. Le guide nous répond d'un grognement et continue à dormir. Il n'a pas tord, il fait encore nuit noire. En fait, le jour se lève trois quarts d'heure plus tard, et l'horloge interne du guide nous aurait reveillé à la bonne heure si on n'avait pas mis nos réveils.
On remballe nos affaires, on se re-Dettol les chaussures, et c'est parti. À quelques dizaines de mètres de la cabane, notre guide nous fait signe que des bisons ont dormi ici. En fait, on en aura bientôt une preuve flagrante !
Bison
C'est assez impressionnant aussi comme bête. Imaginez un taureau, mais en beaucoup plus gros, avec des beaucoup plus grosses cornes. Et en l'occurrence, quand c'est sauvage, bah, ... on a pas envie de les cotoyer de trop près. Silencieux, on les observe un moment, puis l'un pousse un grognement et on se rends compte à cette occasion qu'il avait quelques amis dans le coin, qui prennent tous la fuite. Waou, on doit être vachement forts pour faire peur à des bêtes comme ça.
Martin + guide
On marche un moment et on croise encore quelques autres bisons, les premiers rayons de soleil nous rejoignent.
Arbre + parasite
De retour à Top-Slip, cette fois-ci, on ne se laisse pas avoir et on prend notre petit dej. Martin demande à mon voisin si les gens mangent du riz aussi au petit déjeuner. Non non, on a le choix entre Dosa (crèpe à la farine de riz), Idly (Galette de riz concassé fin, cuit à la vapeur), et du Pongal (riz collant avec des noix de pécans et quelques fruits secs). Qu'est-ce qu'on est médisants alors !
Ah, quel dommage qu'on ne puisse pas rester plus longtemps. Le bus est à 9h, on redescends jusqu'à Polacchi, puis on reprend le bus jusqu'à Coimbatore, où on monte dans le train pour Bangalore. À l'arrivée à Bangalore, mon voisin nous dit qu'on peut descendre à la Gare de cantonment, qui est plus près de l'institut que Majestic, la gare principale. On est un peu surpris en descendant du train de voir qu'il y a la voie des deux côtés, mais plein de gens descendent là, alors on les suit. En montant sur le quai, je ne reconnais pas du tout cantonment, et après le départ du train, on se rend compte qu'on n'est pas du tout à cantonment. La question maintenant, c'est de savoir ou on est. Personne ne connais le Tata institute, on finit par réaliser qu'on est carrément à l'autre bout de Bangalore, pas loin de l'aéroport. On finit par décider de prendre un rickshaaw qui nous mène à bon port. Mon voisin me dit de ne pas dire qu'il est venu avec nous, il ne faut surtout pas que son boss sache qu'il a pris des loisirs pendant un week-end, ce qui est admettons-le véritablement scandaleux, et la version officielle, même pour les amis, c'est qu'il est allé voir sa famille. Ne le sachant pas, j'avais déjà fait une gaffe avec Manish, son co-locataire, mais mon voisin avait rattrapé le coup. Oh, surprise, Manish est justement là quand on descend du taxi. « Euh, tiens, quel hasard, je revenais de Top-slip avec Martin, et j'ai rencontré mon voisin qui rentrait de chez ses parents ». On discute un moment avec Manish qui veux voir mes photos. No problem, je les invite chez-moi un moment, je branche mon appareil photo sur le portable. Oooouuups, boulette, y'a deux photos de mon voisin, que je reconnais rapidement dans les miniatures. Je passe à autre chose, je montre toutes les photos de familles que je peux trouver pour gagner du temps. Manish me demande si on n'a pas eu de problème avec les sangsues. « Non, nous, on avait 4 tonnes de Dettol, mais par contre, Vi... euh, enfin, le guide avec qui on était, lui, il s'est fait bouffer comme pas possible ! ». Arrivant à la fin de mes photos de familles, je déclare qu'il est tard, qu'on va regarder les photos, mais vite. Manish se confonds en excuses et me dit qu'il reviendra plus tard pour voir les photos, qu'il me laisse dormir. Ouf, je l'ai échappé belle.
Bon, enfin, c'est bien beau, tout ça, mais il reste quand même un grand mystère non résolu. Ben oui, avec tout ça, on sait toujours pas ce qu'il y avait dans le sac à dos de mon voisin (enfin, si, il avait un pantalon de rechange, mais à part ça ...).
Les photos sont disponibles ici :
http://matthieu.moy.free.fr/Top-slip/